Déc
7, 2018
Jakob Sauliere : « Est-ce que tu veux faire carrière ou pas ? »
Il y a peu, je dressais le portrait de Soul Edifice, jeune artiste parisien, comme étant le « reflet d’une génération déterminée et audacieuse ». J’avais tort. Pas de reflet sans pléthore de protagonistes, et c’est là qu’il me fallait aller à la rencontre de Jakob. Co-fondateur d’Orchestre Orage, formation moderne oscillant entre musiques électroniques et classiques, directeur artistique du collectif solidaire Fée Croquer et plus récemment instigateur de sa propre agence de booking, Raise, le jeune homme a été propulsé en très peu de temps sur le devant de la scène – ou devrais-je dire dans les coulisses. Comme une envie d’en savoir plus sur ce teuton qui fait danser les parisiens, les français et bientôt plus.
La plupart du temps, nous nous concentrons essentiellement sur les artistes, leurs parcours, et quand ceux-ci sont souvent persuadés dès le plus jeune âge de vouloir percer dans la musique, il n’en est pas de même pour les personnes qui constituent leurs entourages et les aident à croître. Jakob fait partie de ceux-là.
Après une enfance musicale assez classique, un chouïa de solfège, quelques années de saxophone au bec, il n’ira pas plus loin. Du côté scolaire, l’on ne peut dire la même chose. Le garçon est persévérant, attaque des études de droits français et allemand, passe une année à Berlin pour conclure sa licence, avant de compléter son master droit des affaires. Celui qui souhaite travailler à la Commission européenne pour combattre l’optimisation fiscale, « c’est important de toujours avoir un idéal en tête », décide finalement courant 2016 de tout cesser. Des centres d’intérêts différents, l’impression de n’être qu’un pion, c’est un virage à cent quatre-vingt degrés qui s’amorce.

Et c’est Orchestre Orage (lire l’interview de l’équipe ici) qui lui met le pied à l’étrier. Montée grâce à un Kiss Kiss Bank Bank, la jeune équipe réussit la prouesse d’effectuer son premier événement au Théâtre du Châtelet en compagnie d’Agar Agar et Renart, le tout accompagné d’un orchestre. Pas degueu pour une première. C’est alors l’occasion de toucher à la production d’événements musicaux, sans aucune expérience derrière. « Finalement, c’est très intuitif. Etre organisé, avoir du bon sens, fait partie de ces qualités indispensables ».
Le pied désormais à l’étrier, notre parisien de vingt-cinq ans décide de s’investir encore plus dans le monde musical, toque aux portes, se renseigne et atterrit chez Fée Croquer, collectif en pleine fleur de l’âge qui remue les warehouses et autres endroits sombres à coups de kicks et drops bien amenés. C’est à cet instant qu’il se perfectionne aux différentes tâches, découvre le milieu en profondeur, et s’initie de la prod’, à la sécu, en passant par les relations médias. Etre curieux, s’intéresser, « c’est un milieu où tu mets les pieds dans la boue en hiver. Nous on est là, on le fait ! ».
L’ascension est alors fulgurante, et le poste de D.A. lui est proposé l’été dernier. Il endosse le rôle, c’est l’heure du questionnement. Comment amener sa patte à une Direction Artistique déjà bien établie : faut-il tout rompre ou au contraire garder une continuité ? Une seule obligation, celle que le public réponde présent. Il faut donc sécuriser, être cohérent, tout en amenant sa touche et suivre sa ligne directrice. Celle de Jakob est claire :
« Mettre en avant les locaux et pouvoir les intégrer sur de gros plateaux, sans forcément les mettre toujours en opening ».
Pour parvenir à son objectif, il sort beaucoup. Non pas pour y faire la fête, l’homme n’est pas un fanatique des gros rassemblements, mais il y développe son réseau. Ecouter beaucoup de sons, mais surtout tenir compte de l’avis des autres, « il ne faut pas s’enfermer ». Ses coups de coeur ? « Les sets construits, avec une cohérence, une sélecta précise et réfléchie pour parvenir à faire danser les gens. Si tu joues rapidement, tu as quelque chose à cacher. Balancer du kick pour balancer du kick, ce n’est pas intéressant ».
Mais pas que… « La production c’est important aussi ! Soit tu fais un set banger et ensuite tu entretiens cette notoriété, soit c’est une succession de tracks. Quoi qu’il en soit, tu vois le niveau dans les productions : que ce soit le mixage, le mastering, si le track est abouti… ». Ajoutés à cela une bonne étude du terrain, voir où les artistes sont plébiscités, et leur réelle plus-value, vous voici en possession des éléments indispensables pour tout bon programmateur.

« Cette effervescence de la scène parisienne et même française, j’aime ça ! Il y a de nombreux acteurs, un regain de la scène. On est soutenu par le public ! ». Mais alors que la première étape est franchie, l’activiste ne manque pas de souligner qu’il « manque encore des events comme à la Reaktor« . Coup de chapeau à ces promoteurs hollandais, et notamment leurs programmateurs : « ils ont une grande marque, un plateau qui en impose en salle 1 tandis que dans la seconde salle, ils font découvrir de nouveaux noms ». Ce rayonnement, cette envie pour les étrangers de se déplacer jusqu’à la capitale française, ce mélange entre scène parisienne et européenne, voici ce qu’il nous manque encore pour en imposer.
Celui qui cherche à mettre en avant notre vivier local au travers de gros plateaux poursuit finalement son but en fondant tout récemment sa propre agence de booking, Raise (To raise / tʊ reiz: to raise, to cultivate, to increase, to make grow, rise).
Son objectif est clair : « exporter les talents parisiens en dehors du périphérique. Finalement, être D.A. et bookeur c’est idéal pour les artistes ». A l’image de RAW Agency il y a quelques temps, le support de Fée Croquer lui permet alors de faire tourner ses artistes sur ces événements, et « tout le monde y trouve son compte ».
Mais c’est quoi être un bookeur manager de nos jours ? « Je suis un peu comme un grand frère, être derrière ses artiste, leur faire comprendre qu’il faut travailler et être patient ». Entre pédagogue et psychologue, ami et collègue, les frontières sont minces, les limites aussi. Comme toute relation, un mot d’ordre : communiquer.
« Il faut manier l’art du compromis, un peu à l’image de François Hollande. Finalement, j’ai un rôle de conciliateur : il faut être un fin politique, être malin, tâtonner ».
L’agence grossit, désormais ses poulains sont au nombre de huit, et il souhaite encore développer son potentiel en proposant à des artistes internationaux de gérer leurs bookings français.
« On est des entrepreneurs, il faut être organisé, carré ». Alors que certains sont en after, lui organise sa to do list, fait du relationnel et cravache. « Est-ce que tu veux faire carrière ou pas ? « . Et c’est bien là que réside la clé : le garçon est plein de volonté et de rigueur.
Et si celui qui souhaitait oeuvrer dans le monde des affaires n’était finalement pas retourné à ses premiers amours ? Et si tout cela est en fin de compte de la politique au travers d’un rôle de représentation ? Après la récente annulation de leur dernier événement, tout comme celui de Possession à la rentrée scolaire, le coup de mou s’est fait ressentir. Quelques semaines de réflexion et remise en question, il est temps de repartir à la conquête de la nuit, mais il faudra bien instaurer un dialogue avec les autorités tôt ou tard. « On est dans une impasse, il faut des intermédiaires. Certains ont déjà commencé, comme Sina (fondateur de Subtyl) qui contacte des mairies par exemple, participe à de secondes vies de quartiers, même si c’est sur du court terme. J’ai également envie d’endosser ce rôle, mais par où commencer ? « .
Avant les hautes sphères, l’avenir se fera déjà aux côtés de Fée Croquer et Raise, dont les objectifs sont similaires. « S’exporter en dehors de Paris, voir même en Europe, c’est ça l’horizon que je me fixe ! ». Qu’importe le résultat final, ce qui est certain c’est que le jeune homme met toutes les chances de son côté pour y parvenir. Rien n’arrive sans raison ; entre curiosité, débrouillardise et surtout une énorme dose de travail, nul doute que l’entrepreneur n’en est qu’au début de sa route et se fera remarquer très bientôt dont notamment grâce au lancement d’un label en collaboration avec Lacchesi.
« Finalement c’est la suite logique ! »
– Accéder à la page de Raise Booking –
– Accéder à la page de Fée Croquer –
Ecrit par

Marion Delpech
Co-founder
Après plusieurs années à côtoyer le monde de la musique électronique en tant que spectatrice, Marion a démarré l’aventure PWFM en octobre 2015 avec 3 autres compères. Plateforme multi-tâches ayant pour vocation première de donner de la visibilité aux jeunes talents de musiques électroniques, elle englobe une web-radio, un webzine, de la production d'événements ou encore l'organisation de tremplins au sein d'événements d'envergure.