Vous vous êtes déjà posé la question de comment s’était démocratisée la musique électronique en France ? On a fait nos recherches et on a la réponse. C’est la communauté LGBTQ+ qui a favorisé, si ce n’est créé, l’explosion de la musique électronique en France. En retour la musique électronique a contribué à l’ouverture d’esprit et à la tolérance de la population.

En France, jusqu’en 1982, la loi punissait tout acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe. En juin 1981 François Mitterrand, président de la République, fait la couverture du magazine Guépié avec ces propos : «l’homosexualité doit cesser d’être un délit ». Le 27 juillet 1982 sur une proposition du ministre de la Justice Robert Badinter l’Assemblée Nationale vote enfin la dépénalisation de l’homosexualité.
Avant la dépénalisation de 1982, il existait des lieux où l’homosexualité pouvait se vivre librement, les discothèques. Les premiers clubs, dès la fin des années 60 sont les refuges de la communauté gay qui, la nuit, peut sortir de son placard et vivre cette différence dans la joie et l’exubérance. Dans les années 80 la disco n’est plus à la mode, puis arrivent la house et le Queen. Le club ouvre en 1992 soit un an après que l’homosexualité ne figure plus dans la liste des maladies mentales de l’Organisation Mondiale de la Santé. Son inauguration ne se fait pas dans un lieu caché car il ouvre en pleine avenue des Champs Elysée. Le Queen a acquis sa renommée grâce à la qualité de ses soirées, parmi les plus branchées de la capitale. Il est considéré comme LE club gay et connaît son âge d’or de 1993 à 1996.
Le directeur artistique du club n’est pas un inconnu puisque c’est le fameux, David Guetta. Il sort son premier morceau en 1994 avec Robert Owens, légende de Chicago.
En juillet 1996, un jeune organisateur de rave, Frédéric Agostini, qui est aujourd’hui directeur artistique de La Clairière et agent d’artiste, rencontre des problèmes avec les forces de l’ordre suite à une soirée organisée dans un château à Melun. A cette époque la techno est encore associée aux mots vandalisme, drogue, barbarie, déviance. Mais Agostini aimerait vivre sa passion pour la musique électronique en liberté. Deux journalistes lui font part d’une proposition officielle et légale du Queen : organiser une soirée hebdomadaire gratuite et ouverte à tous. Le mercredi 2 octobre 1996, le trio lance la première de ses soirées « Respect » avec un duo français qui n’a pas encore sorti d’album mais dont tout l’underground électronique parle et qui est aujourd’hui mondialement connu : « Daft Punk ». En 1997 il sortent leur deuxième single qui devient immédiatement un succès :
A cette époque, la musique électronique n’était soutenue que par une poignée de passionnés, les réseaux sociaux n’existent pas, seuls quelques médias en faisaient le relai, on peut par exemple citer Radio Nova, Radio FG et le magazine Coda. Les soirées Respect et Daft Punk vont sortir la house et la techno de leur ghetto en jouant sur le côté branché de cette musique en insufflant « l’esprit plus ouvert des raves dans les clubs parisiens ». Peu à peu les soirées « Respect » sont de plus en plus démocratisées, chaque semaine 1700 personnes se pressent au Queen, la file d’attente remonte sur plusieurs centaines de mètres, après une décennie de marginalité la musique électronique commence à envahir les charts avec les succès de Stardust, Bob Sinclar et Cassius. Les soirées « Respect » programment autant de français que d’étrangers, de figures cultes que de petits nouveaux. En juillet 1999, après 3 années d’existence les soirées « Respect » du Queen s’arrêtent. Ce qui n’empêche pas le club de programmer d’autres artistes de la house.
A la fin des années 90, la musique électronique sort de l’underground : “durant cette époque on vivait comme des rock star, on faisait les branleurs, on rentrait à notre hôtel en limousine, on se battait pour être surclassé dans les avions” disait David Blow dans le livre « French Touch ». Mais cet état d’esprit n’est pas apprécié par de nombreux fans de musique électronique, pour eux la french touch c’est de la disco filtrée trop chic, trop pop.
Un nouveau club ouvre en 1997 et va alors retourner aux fondamentaux et propager un nouveau son moins disco-funk plus sombre. Ce club, c’est le Pulp, créé par Michelle Cassaro alias “Mimi” spécialisé dans la diffusion de la musique électronique. Le Pulp est au départ exclusivement lesbien, il est tenu uniquement par des filles. Elles sont à la porte, derrière le bar, choisissent la programmation et dansent toute la nuit.

Le lieu s’impose peu à peu comme un des lieux de rendez-vous des parisiens il a même son fanzine, Housewife, créé par Dana Wyse et Axelle Le Dauphin, il devient une des publications les plus underground de la ville.
Ses DJ résidents, à l’image de Sextoy, Chloé, Jennifer Cardini, Arnaud Rebotini, Scratch Massive et Ivan Smagghe, contribuent à sa réputation. Le label Kill the DJ y est créé, s’appuyant au départ sur l’enregistrement des soirées mémorables.
A partir de 1999, année du vote du Pacs, il ouvre ses portes tous les jeudis aux hétéros mais cette ouverture générale contribue à sa baisse de popularité. L’ouverture de ces clubs s’est accompagnée de la montée des droits homosexuels avec le Pacs voté en 1999, l’affirmation d’une nouvelle identité lesbienne, la démocratisation de la nuit et de la musique électronique. En juin 2007, le Pulp ferme définitivement et en 2018, presque 10 ans après, c’est au tour du Queen de mettre la clef sous la porte.
Depuis les années 90 et la fermeture d’un des club mythique qui liait l’électro et la communauté LGBT, la situation a bien évoluée. Cependant le monde de l’électro n’oublie pas d’où il vient. On en a eu la preuve en 2012 lorsque quarante-trois artistes de la scène électro-pop française, dont Justice, Air, M83, Émilie Simon, The Shoes, Vitalic ou Laurent Garnier, prennent position en faveur du mariage, de l’adoption et de la procréation médicalement assistée pour tous. Ils lancent leur appel sur un blog musical Tumblr intitulé “Fight for your right to marry”.
Sur ce blog, ils invitent également à manifester dans chaque ville de France et reconnaissent l’influence de la communauté LGBT dans la mondialisation de l’électro : « la musique que nous aimons, que nous jouons et qui nous influence est aussi le fruit d’une culture homosexuelle créative, audacieuse, subversive et toujours en avance sur son temps ».
Afin de soutenir cette cause, ces musiciens et djs se sont tous prêtés à l’exercice de choisir quel morceau jouer lors d’un mariage trans, gay ou lesbien : « parce que la musique n’a pas de genre, ni de sexe et n’est qu’amour, plaisir et abandon, nous avons donc décidé de nous engager en faveur du mariage pour tous, de l’adoption, de la PMA et de l’égalité avant tout, en vous proposant ce qu’on sait faire de mieux: de la musique ! », expliquent-ils.
Air a par exemple choisi son propre morceau Sexy Boy :
Pour approfondir notre étude nous avons eu la chance de pouvoir interviewer certaines personnes professionnelles sur le sujet :
Ixpé, DJ et organisateur des soirées Discoquette :
PWFM – Ressentez-vous l’influence de la communauté LGBT dans la musique électro d’aujourd’hui ? La ressentiez-vous avant ?
Ixpé – Je ne sais pas si on peut parler influence tant l’histoire de la musique électronique et celle de la communauté LGBT sont liées à l’origine même. Il n’y aurait eu ni disco, ni house, ni techno, sans les homos afro-américains.Je pense que ce qui change beaucoup aujourd’hui, c’est la reconnaissance de cette histoire commune et la visibilité des DJs LGBT au sein des médias, de la scène et du public.
Pensez-vous que le lien entre la musique électro et la communauté LGBT n’est présent qu’en France ? Si non où d’autre et pourquoi ?
Ce serait à la fois faux et dommage de penser que ce rapprochement n’a lieu qu’en France. Un exemple « grand public » : le Berghain, à la base club gay, dont la population actuelle est très mélangée. Il en va de même pour beaucoup de lieux/soirées, partout dans le monde. C’est ce qu’on essaye de faire à notre petit niveau avec la Discoquette, retrouver l’ambiance des premiers clubs emblématiques, tout en ayant un public mixte.
Avez-vous déjà assisté à une soirée au Queen ou au Pulp ? Si oui avez-vous ressentie l’influence de la communauté LGBT ?
Quand j’ai commencé à sortir à Paris, c’était bizarrement mes deux lieux de prédilection. Je dis bizarrement car il s’agissait vraiment de deux salles deux ambiances. Le Queen plus mainstream, m’as-tu-vu, bitchy, et le Pulp beaucoup plus alternatif, weird. Mais je me sentais aussi bien dans l’un que dans l’autre et je ne venais pas y chercher la même chose. On pouvait presque parler pour le coup de deux communautés, mais toutes deux proposaient cette « safe place » où il était possible de se retrouver et s’amuser sans craindre les regards de l’extérieur. Des lieux où on était vraiment soi-même. En tant que jeune adulte, c’était primordial pour moi.
Lorsque le Pulp et le Queen ont fermés, pensez-vous que quelque chose s’est éteint avec ?
Je pense que ça a fait un coup à tous les habitués, surtout la fermeture du Pulp. C’était un symbole de la nuit parisienne qui n’avait pas d’égal. Mais on n’éteint pas si facilement la flamme LGBT 😉 c’est surtout cela la force de la communauté. Il y a un historique de lutte qui fait qu’on ne se laisse pas abattre si facilement.
Un lieu ferme ? Des soirées naissent.
Mais la différence entre la fin des deux clubs doit être précisée : là où le Pulp a été stoppé en plein essor, le Queen a péri seul, suite à une gestion et un changement de position plus que contestables.
Y a-t-il une boite qui pour vous aujourd’hui égale le Pulp et le Queen ?
Pas vraiment. Mais la grande différence aujourd’hui est que le monde de la nuit s’organise autour de soirées et non de clubs.
Une soirée créé son public et peut changer de salle en salle sans avoir peur de le perdre.
On a perdu les lettres de noblesse des clubs. Les gérants pensent davantage à remplir en bookant des têtes d’affiches en abandonnant les essentiels de la fête : l’ambiance, le sound system, le décor, …
Pensez-vous que la musique électro et la communauté LGBT sont encore liés de nos jours ? Et dans le futur comment pensez-vous que ce lien va évoluer ?
Evidemment ! Mais je suis assez peu visionnaire, j’aime plutôt observer ce qu’il se passe maintenant. Ce que je vois c’est qu’il y a encore et toujours besoin de visibilité, de combat pour exister et aimer. Et naïvement, je rêve que les générations futures n’aient pas à se poser la question des origines, des identités, des sexualités, que ce soit sur un dancefloor, derrière des platines ou ailleurs.
Mathilda Meerschart, chargée de communication pour Manifesto (Nuits Fauves, Wanderlust, 142, Silencio) :
PWFM – Ressentez-vous l’influence de la communauté LGBT dans la musique électro d’aujourd’hui ? La ressentiez-vous avant ?
Mathilda – Beaucoup moins que dans les années 90 (déjà au niveau des looks, de la musique et de la population..). Bien que j’entends beaucoup de productions actuelles (je pense à I Hate Models, Mayeul, JKS, Trym, toute cette scène là…) s’inspirer des sonorités dance des années 90 qui pour moi riment avec G A Y.
On observe aussi un public de plus en plus queer dans les soirées techno en warehouse – entrepôts, des codes vestimentaires de plus en plus axés « cuir et latex », « soumis », harnais en cuir… Issus de clubs gay tels que le Berghain etc…
Donc est-ce que c’est gay ou est-ce que c’est mode ? Vous avez 2 heures. Les codes gays sont souvent repris à outrance parce que – oui nous avons bons goûts.
Pensez-vous que le lien entre la musique électro et la communauté LGBT n’est présent qu’en France ? Si non où d’autre et pourquoi ?
Tu rigoles ? La France est justement au derrière de la file. Le pays qui pour moi est l’un des premiers à avoir fait le lien entre musiques électronique et LGBT sont incontestablement les E-U : Chicago – Detroit – NY
House music all night long, Jack your body, Voguing… Tous les plus grands hymnes house sont gays.
A suivi l’Angleterre puis Berlin. Berlin est la première ville qui a (je crois) compris que la musique = sexe et sexe = musique. On y trouve les plus grandes backrooms et les meilleures ambiances gays de l’Europe (pour moi encore une fois).
Avez-vous déjà assisté à une soirée au Queen ou au Pulp ? Si oui avez-vous ressentie l’influence de la communauté LGBT ?
Au Pulp oui. Et c’était un club queer et lesbien donc forcément j’y ai ressenti l’influence de la communauté LGBT. Que ce soit dans la musique jouée par les résidents Ivan Smagghe, Arnaud Rebotini, Manu Le Malin, Sextoy, Cardini… Aussi bien que dans les murs, que sur les sofa où les nanas se draguaient ou baisaient. Je me rappelle souvent d’une intro qui était jouée : French Kiss de Lil Louis… Ça annonce la couleur de suite.
Lorsque le Pulp et le Queen ont fermés, pensez-vous que quelque chose s’est éteint avec ?
Je ne pourrais pas dire pour le Queen j’étais bien trop jeune par contre pour le Pulp oui, cela s’est bien fait ressenti : encore actuellement tu as des soirées « hommage au Pulp » au Rosa Bonheur.
Y a-t-il une boite qui pour vous aujourd’hui égale le Pulp et le Queen ?
Aucune. Et je pense que c’est d’ailleurs une bonne chose. Il faut arrêter de vivre dans le passé et évoluer. Quelques soirées gays tirent leurs épingles du jeu je pense notamment à Flash Cocotte, La Toilette, House Of Moda, Menergy.. Mais dorénavant, tout se passe en warehouse d’ailleurs, l’organisateur de soirées gays qui l’aura compris aura un énorme succès. Avec Possession c’est exactement ce que l’on a voulu faire.
Oscar Héliani et Yannick Barbe, fondateurs de MENERGY :
PWFM – Ressentez-vous l’influence de la communauté LGBT dans la musique électro d’aujourd’hui ? La ressentiez-vous avant ?
Oscar, Yannick – Si certains n’admettent pas que la musique électronique découle en quelque sorte du disco, personne ne peut nier que de nombreux morceaux actuels « samplent » des boucles piquées à des hits des années 70 et 80. Patrick Cowley, auteur du morceau Menergy, a relifté la carrière de Sylvester, célèbre chanteur des années 80, à coups de synthétiseurs et de nappes électroniques. Do ya wanna funk ou You make me feel, et bien d’autres morceaux nés de cette collaboration sont devenus mythiques car intemporels. Ces deux acteurs phares de la scène gay de San Francisco ont largement influencé la musique de leur époque et, sans le vouloir, de la nôtre. Aujourd’hui encore, la communauté LGBT regorge de musiciennes et de musiciens, de DJs, de productrices et producteurs qui composent de l’électro et contribuent à la propager tant dans les clubs underground que les festivals les plus courus de la planète. Les promoteurs de soirées gay qui mettent en avant la musique électro dans leur programmation jouent également un rôle non négligeable. Enfin, l’influence d’aficionados de l’électro comme Honey Dijon, Alinka, Andy Butler et son Hercules & Love Affair, Rouge Mary, Chloé, Jennifer Cardini, Boris, Prosumer, Nomi Ruiz, Aerea Negrot, Kim Ann Foxman, Anohni Hegarty, Michael Serafini est majeure.
Pensez-vous que le lien entre la musique électro et la communauté LGBT n’est présent qu’en France ? Si non où d’autre et pourquoi ?
Non, il est présent partout ailleurs. À San Francisco, Josh Cheon, ex-membre du collectif Honey Soudsystem, DJ et patron du label Dark Entries Records, réédite des trésors méconnus de Patrick Cowley disparu à l’âge de 32 ans et perpétue la tradition. À Londres, les quatre mousquetaires du collectif Horse Meat Disco ont commencé pour animer un petit rendez-vous dominical qui s’est vite imposé comme la queer party de référence recevant de nombreuses pointures du mix. Les membres ont un label qui édite leurs albums. À Berlin, grâce au mythique club Berghain, le label Ostgut Ton a contribué à replacer la scène techno/électro allemande (LGBT ou pas) sur l’échiquier du clubbing international. D’autres propositions franchement gay ont essaimé depuis, citons Cocktail d’Amore, initiée par le duo italien Discodromo, ou Buttons, fruit de la collaboration entre Danilo et son boyfriend DJ Jacob Meehan.
Avez-vous déjà assisté à une soirée au Queen ou au Pulp ? Si oui avez-vous ressenti l’influence de la communauté LGBT ?
Oui. La programmation du Queen se voulait éclectique et ne s’adressait pas exclusivement à la communauté LGBT même si le samedi et le dimanche étaient clairement labellisés gay. Ainsi, Thibault Jardon, directeur artistique de l’époque, a œuvré pour que les soirées Respect is Burning voient le jour dans son club. Ces rendez-vous du mercredi ont accueilli la crème de la French touch comme Daft Punk, Dimitri from Paris, Étienne de Crécy dans le temple de la nuit gay parisienne. Il a également flairé, avant tout le monde, l’importance de la scène gay londonienne en invitant, entre autres, des DJs du fameux TRADE à venir montrer aux clients du Queen un échantillon de la night londonienne. Ensuite, Madrid a ravi la place à la capitale anglaise. L’importation du phénomène des circuit parties en Europe s’accompagne de l’explosion des fréquentations lors des gay prides, et qui remonte précisément à 2007 lorsque l’Orgullo de Madrid coïncide avec l’Europride.
Le Pulp prônait une programmation plus pointue. De petite taille, le club pouvait se permettre une grande exigence au niveau de la sélection à l’entrée, le rendant ainsi assez exclusif. Le Pulp reste fortement associé à Sex Toy mais également à Chloé, Ivan Smagghe et Jennifer Cardini, mis en avant par le label kill the DJ. Nous y avons découvert le duo Scratch Massive qui avait une résidence ainsi que des soirées comme Jacqueline Coiffure, Mort aux Jeunes ou Androgyny qui ont mué en soirées incontournables de la nuit parisienne.
Lorsque le Pulp et le Queen ont fermé, pensez-vous que quelque chose s’est éteint avec ?
Comme toute chose qui disparaît, elle emporte avec elle des moments qui y sont intimement liés. Certains ont dit que c’était la fin d’une époque, soit. Mais les gens qui disent que c’était mieux avant, cela finit par être assez énervant.
Y a-t-il une boîte qui pour vous aujourd’hui égale le Pulp et le Queen ?
Non.
Pensez-vous que la musique électro et la communauté LGBT sont encore liées de nos jours ?
Oui avec tous les exemples cités plus haut.
Et dans le futur comment pensez-vous que ce lien va évoluer ?
Si les membres de la communauté LGBT continuent à composer et produire de la musique électronique, s’ils continuent à la jouer et d’autres à danser dessus dans les clubs ou les festivals, alors le lien restera et plus solide que jamais.
La prochaine soirée Menergy c’est la Menergy Summer, le 13 juillet au Wanderlust avec entre autres : Michael Magnan.
Adeline Journey, fondatrice de Heeboo, membre de Barbi(e)turix, fondatrice de Sneaky Sneaky :
PWFM – Ressentez-vous l’influence de la communauté LGBT dans la musique électro d’aujourd’hui ? La ressentiez-vous avant ?
Adeline – De la communauté LGBT ? Non. De la communauté LGBTQI+ ou queer, oui totalement. C’est là que pas mal de choses se passent. Pas forcément dans la musique à proprement parler, mais dans ce qu’on appellerait « la nuit électro ». Avant c’est house, aujourd’hui, la communauté queer est aussi très présente dans l’univers techno, EBM, wave, disco. Elle influe par sa liberté, son envie de repousser les limites, de faire avancer les gens et les pensées. La fête incite à ouvrir les esprits.
Pensez-vous que le lien entre la musique électro et la communauté LGBT n’est présent qu’en France ? Si non où d’autre et pourquoi ?
Non. Si l’on considère la musique électronique dans un prisme global, je pense que le lien existe ailleurs. Mais tout dépend de quelle musique électronique on parle.
Avez-vous déjà assisté à une soirée au Queen ou au Pulp ? Si oui avez-vous ressentie l’influence de la communauté LGBT ?
Non.
Lorsque le Pulp et le Queen ont fermés, pensez-vous que quelque chose s’est éteint avec ?
À l’époque oui, car c’est toute une communauté qui s’est retrouvée sans réels lieux pour se retrouver. Puis la flamme s’est rallumée quelques années plus tard. Plus forte, plus vibrante et plus tournée vers le futur. Des dizaines de soirées LGBTQ+ et.ou queer ont lieu tous les weekends à Paris, c’est incroyable quand on y pense, car les line-up sont de qualité et les orges très très bons. On y aurait jamais cru à la fermeture du Pulp par exemple, mais je pense que dans un sens, c’est ce vide créé par cette fermeture qui a permis au terreau de se nourrir de frustrations pour en faire naître quelque chose de plus solide et de plus tourné vers le futur.
Y a-t-il une boite qui pour vous aujourd’hui égale le Pulp et le Queen ?
La Station-Gare des Mines qui aujourd’hui rassemble tous les weekends des centaines d’amateurs de musique alternative et pointue, dans une libération des corps et des esprits assez impressionnante. Par contre il me semble qu’on ne peut pas du tout faire résonner ensemble des boîtes comme le Pulp et le Queen qui n’ont vraiment rien à voir.
Pensez-vous que la musique électro et la communauté LGBT sont encore liés de nos jours ? Et dans le futur comment pensez-vous que ce lien va évoluer ?
Oui, totalement. La musique électronique amène à une certaine ouverture, sous-jacente, qui rend les danseurs et teuffeurs actifs de leur mouvement. Je pense que dans vingt ans, les jeunes seront bien plus ouverts d’esprits qu’ils l’étaient quand moi j’avais vingt ans dans les années 2000. Les fêtes électro sont aujourd’hui meilleures qu’elles ne l’étaient, plus diverses, elle font plaisir à plus de personnes, il y en a pour tous les goûts, et tant qu’on ne s’inscrit pas dans de l’EDM ou du commercial dégueulasse, les programmations sont pointues et visionnaires. Les fêtes et donc le monde de la musique électronique, ne peut qu’aller dans un sens d’ouverture et de réflexion sur le passé. Il y aura des cycles, il y en a déjà avec la résurgence récente de l’esprit rave, mais chaque renaissance nourrit le mouvement, chaque cycle provoque un renouveau, un rafraichissement des manières de penser. Je pense que dans un futur proche, nos fêtes seront à l’image de ce qu’il nous est donné de construire aujourd’hui : libres, tournées vers le futur, et dans un respect de l’autre naturel.
Arnaud Crame, House of Moda :
Il y a beaucoup de gays et de lesbiennes dans les coulisses de la scène club alternative parisienne. C’est comme s’il y avait une tradition du ou de la promoteur queer. Et les soirées proposées par des gays, des lesbiennes, des personnes trans aussi, attirent beaucoup de monde, bien au-delà d’une communauté LGBT au sens strict. Au XXème siècle, il y avait ce cliché : les gays savent faire la fête. Je crois qu’on n’en est plus là aujourd’hui. Les soirées qu’on identifie comme queer, même quand la majorité du public est hétéro, dégagent quelque chose libéré, si ce n’est libertaire, qui plaît et bénéficie à tout le monde. Ca se retrouve dans des univers très différents : chez nous à la House of Moda, avec le côté déguisement et drag queen, comme dans les grosses soirées techno comme Possession, comme dans le délire « on met le feu aux bagnoles » d’AZF et sa bande Qui Embrouille Qui, pour prendre deux exemples à un bout et l’autre du spectre. Ce qui me surprend quand je compare Paris avec d’autres villes étrangères, c’est qu’on a beau être partout, on n’est pas vraiment big. Les DJs et producteurs-trices connu-e-s à l’étranger et identifiée-e-s comme LGBT se comptent sur les doigts d’une main. Et les lieux, événements, personnalités et festivals vraiment emblématiques de Paris à l’étranger ne sont pas du tout LGBT. Concrete et la Station, c’est pas Queer. Berghain et Cocktail d’Amore, si. Je n’ai pas connu le Queen, je n’y suis jamais allé et ça ne m’a jamais spécialement attiré. Quand j’étais jeune, je ne jurais que par le Pulp, pour moi c’était the place to be, même si on m’y a déjà refusé l’entrée (étant un mec), une paire de fois. Puis j’ai eu la chance d’y organiser des soirées pendant deux ans, avant que ça ferme. Lorsque le Pulp a fermé en 2007, les jeunes promoteurs et DJs gays et lesbiennes étaient mûr-e-s pour se déployer partout dans Paris et ailleurs. C’est après la fermeture du Pulp que la scène a explosé. Et pour moi, les petit-e-s jeunes d’aujourd’hui qui font des soirées sont les héritièr-e-s des filles du Pulp, dans leur manière de considérer le public et sa diversité, dans l’attention portée à la proposition artistique, dans le goût du cra cra aussi. Il n’y a pas de club qui égale le Pulp aujourd’hui mais le Pulp était un petit club décati sur les grands boulevards, avec des tea-dance en fin d’après-midi et de la musique pourrie le samedi soir. Aujourd’hui le Pulp est partout tout le temps.
Nous écrivons cet article en l’honneur de la Gay Pride qui se déroulera à Paris ce samedi 30 juin, en musique dans la joie et la bonne humeur accompagné de mille couleurs.
Un grand merci à Ixpé, Mathilda Meerschart, Oscar Héliani, Yannick Barbe, Adeline Journey et Arnaud Crame.