Fév
23, 2021
La House Rennaise & Utopia56 : « La solidarité peut être pluridisciplinaire ».
A la sortie de la compilation La House Rennaise, volume 2, portée par le collectif La Rennes Des Voyous et en faveur des migrant·e·s, par le biais d’Utopia56, nous sommes allé·e·s à la rencontre de ces deux équipes pour un projet dont on aimerait en voir plus !
Photo en une : Utopia56, juillet 2016 © Antoine Bazin
PWFM – Salut Théo et Coline. Pouvez-vous présenter en quelques mots ?
Théo, la House Rennaise – Hello Marion, merci pour le temps que tu nous accordes, c’est précieux ! Alors de mon côté, je suis co-fondateur de l’association rennaise La Rennes des Voyous née en 2016, dj depuis 2013 sous mon alias Timéo, et puis je réalise ce beau projet de compilation commencé en avril 2020. Voici donc le second volume qui sort aujourd’hui après plusieurs mois de boulot en lien avec les différent·e·s acteur·trice·s qui participent volontairement.
Coline, Utopia56 – Salut Marion, je suis Coline, j’ai 26 ans et je suis coordinatrice de l’antenne d’Utopia 56 de Rennes depuis début janvier de cette année. je fais partie d’une équipe de coordination au top, souriante et dynamique, qui permet de garder la tête froide en ces conditions particulières !
Peux-tu également nous en dire plus sur Utopia ? Pourquoi ? Dans quel but ?
Utopia 56 est une association nationale dont la mission est le soutien des personnes exilées ; elle comporte plusieurs antennes dont Rennes fait partie. Nos activités se concentre en ce moment autour de 3 pôles principaux :
👉 l’accompagnement de mineur·e·s isolé·e·s qui ne sont pas reconnu·e·s comme tels pour des raisons aussi stéréotypées que ce que dit le département de leurs récits. Nous les accompagnons administrativement et juridiquement et leur proposons des hébergements solidaires.
👉 les maraudes que nous effectuons pour les sans-abris et l’ensemble des collectes pour pouvoir les effectuer.
👉 la communication qui comporte beaucoup de sensibilisation sur les situations difficiles des exilé.e.s.
Utopia 56 s’est toujours positionné en faveur des migrations et de l’accueil digne des exilé.s, aujourd’hui cela est d’autant plus important que nous devons nous substituer à l’inaction de l’Etat en matière d’accueil. Le but étant tout simplement que les inégalités ne persistent pas et que chaque être humain, inconditionnellement soit reconnu comme tel et ait des conditions de vie dignes.
La situation actuelle pour les migrant·e·s, elle est comment ?
Coline – Terrible ! Très honnêtement sur Rennes on n’a jamais vu ça, et ce n’est pas moi qui le dit, parce que je suis jeune et nouvelle sur le territoire rennais, mais ce sont bien ceux qui sont impliqués depuis des années ! Le nombre de familles ayant reçu une obligation de quitter le territoire depuis le mois de décembre est exponentiel, et chaque semaine depuis un mois nous sommes obligés de faire appel à nos réseaux d’hébergeurs solidaires pour loger des familles non hébergées par la ville ou le 115 dont ce sont les obligations. La répression et la lutte contre l’immigration est de plus en plus forte, quelles que soient les raisons de la migration.
Pensez-vous que la musique peut être un vecteur pour aider les personnes dans le besoin ?
Theo – C’est essentiel !!!
Coline – C’est super bateau ce que je vais dire mais la musique n’a pas de frontière, et c’est bien ce que vendent La Rennes des Voyous d’ailleurs, donc bien sûr qu’elle peut être vecteur de solidarité entre les personnes !
La preuve avec la réussite de la première compil de Théotime. Il nous ait déjà arrivé de danser avec des personnes rencontrées lors de maraudes à plusieurs reprises ; sur la musique d’un orchestre improvisé dans la rue, ou de la musique sortie de nos véhicules ; et c’est très révélateur du vecteur qu’est la musique : elle peut-être partagée aisément et suspens le temps tant qu’on se laisse porté.
Théo, tu portes le projet de La House Rennaise, peux-tu nous en dire plus ?
Cela faisait plusieurs années que je souhaitais aider les associations qui viennent en aide aux migrants. J’avais déjà eu l’occasion de le faire mais que sur des petites actions. Je voulais frapper plus fort. Un constat simple : c’est la m**** pour les migrants en France. C’est la galère administrative, c’est la galère dans l’accompagnement, c’est la galère concernant le logement, c’est la galère concernant la régularisation, c’est la galère d’un point de vue légal : leurs droits sont souvent bafoués, ils sont ostracisés et souvent violentés. En bref, c’est la merde d’un point de vue systémique. C’est consternant.
Alors, pendant le premier confinement, je bouillonnais, je l’ai mal vécu, je déprimais et fallait que je me lance, que je crée. C’est allé très vite, j’avais déjà un embryon d’idée depuis quelque temps, j’étais déjà un peu en contact avec Utopia 56, je connaissais la scène House rennaise pour y évoluer depuis plusieurs années. Une amie de l’asso, Mallaury Lucas, m’a épaulée sur la partie communication et on a sorti le projet en deux semaines chrono avec un super investissement des artistes, de Blutch qui bosse bénévolement avec Utopia 56 et qui a proposé une track et fait le mastering des 10 morceaux et aussi de Martin Rose, le graphiste du crew Texture. Son travail est toujours au poil ! Et puis Hop ! le projet est sorti, plutôt bien relayé et on a eu le soutien d’un bar rennais (Big up Le Barexpo) qui a grandement participé à la collecte de fonds.
Total : 800€ collectés. Le principe est simple et reste le même sur ce second volume : tu achètes sur la plateforme Bandcamp la compilation ou seulement quelques tracks et le tour est joué.
Pour le second volume, je suis reparti sur les mêmes bases. On prend les mêmes et on recommence (Blutch au mastering, Martin au graphisme, merci les gars !). La scène rennaise en matière de House music cache bien son jeu. Il y a un vivier tel qu’il était largement envisageable de réaliser un très beau second volume.
Résultat : 13 artistes ont pris part à cet opus de grande qualité. Les morceaux représentent un certain éclectisme à travers la scène Funk, Hip Hop et celles des musiques électroniques. On pourra autant écouter de la deep, que de la disco house ou encore de l’électro : ça déboîte. Certains des artistes de la compil’ sont des piliers à Rennes, d’autres se font la main depuis seulement quelques années, certains sont pro, d’autres amateurs, certains ont des labels, organisent des festivals, d’autres sont dj… Bref c’est varié et ça fait du bien !
Pourquoi avoir choisi Utopia ?
Theo – C’est venu naturellement. Je connaissais plusieurs assos à Rennes et puis avec un ami on répondu à l’appel d’Utopia pour jouer bénévolement dans un super spot pour un événement solidaire. On a adoré joué pour eux, super moment ! Et puis on avait, avec notre association, choisi d’aider Utopia 56 dans le cadre de notre festival (qui n’a pas eu lieu des suites du Covid). Donc choisir Utopia, ça a été rapide. A Rennes, et j’imagine dans d’autres villes, quand tu aides une asso comme Utopia 56 en reversant de l’argent pour aider les migrants, j’ai l’impression que tu rends aussi service de manière systémique aux autres associations aussi car elles sont en lien, elles communiquent, s’entraident et se dispatchent les actions à mener afin de d’aider aux mieux les personnes dans le besoin…
Comment avez-vous réagi quand Théo vous a contacté ?
Coline – On était super content·e·s ! On avait déjà eu l’occasion de collaborer avec La Rennes des Voyous à travers un festival et une première compil. Un de leur membre a aussi fait partie de nos bénévoles et ça a toujours été un plaisir. Nous sommes une équipe jeune, ce qui fait que leur musique est loin de nous être inconnue et qu’ils nous interpellent pour en plus nous reverser des fonds ça nous touche énormément !
La solidarité peut-être pluridisciplinaire et c’est beau de voir que tout le monde peut y participer à son échelle et en faisant ce qu’il aime qui plus est.
Comment se constitue cette seconde compilation ?
Theo – C’est un beau patchwork de 13 tracks qui montre la qualité de la scène rennaise. Et pour vous montrer cela, rien de tel qu’une balade dans Rennes.
Ainsi, en vous promenant dans le vieux-Rennes en fin d’après-midi, vous rencontrerez la House-Disco au sample entêtant du producteur Hip-Hop, J-Zen, apparaissant ici sous son alias Jaime In French. Un délice pour échauffer ses esgourdes, vous enfilez sans sourciller vos Rollers… Et c’est parti !
Tournez un peu à gauche, direction les quais, et vous pourrez écouter le morceau “Les Rives” de l’artiste Hirah, un condensé d’émotions à la Four Tet. Vous êtes prêt·e·s à vivre une nuit intense. Entrez dans le club et vous entendrez résonner les basses furieuses et les sonorités acides du jeune producteur Arnaud Is Dancing, qui nous rappelle l’énergie qui se dégage d’un club à 3h du matin. Yann Polewka s’occupe du peak-time avec “Rain City (Acid Mix)”, vos pieds creusent le sol : tout se passe à merveille ! La nuit touche à sa fin et sur le retour le morceau “Us”, marqué par le courant French Touch, vous accompagne façon “Night Ride”. Il est signé du protégé de l’écurie Önd, Atlantean Citizen.
Au réveil, enfariné, c’est Jilo qui vous prend par la main avec “Straying Journey”. Le bon moyen pour sortir du brouillard matinal, des basses chatouillantes, une flûte joyeuse; et puis ça se corse, le piano survient et la journée bat déjà son plein ! Vous faites une pause au parc du Thabor et le soleil vous embarque, vous tentez une danse à travers les allées des jardins à la française avec “High Rollin’” dans les oreilles. Oui, vous comprenez, difficile de ne pas lâcher un pas de danse sur cette bombe funky. Le gardien du parc vous surprend à danser sur l’herbe, c’est la course poursuite, votre téléphone switch et vous tombez sur “Housework”. Un morceau du producteur canadien Kaytranada ?! Non, Deheb qui vous envoie en dehors de l’espace temps avec ses synthés qui suintent le groove. Vous échappez sans soucis aux furieux reproches du maître des lieux.
La fin de journée approche, vous vous préparez à rejoindre vos amis mais vous manquez un peu de motivation. Le jeune producteur Niuored vous remet les points sur les “i” immédiatement :“Do Not Be Anxious”, son morceau, envoie sec avec ses sonorités raw et punchy.
A l’apéro, on vous laisse la liberté de gérer la sélection. Ca tombe bien vous avez découvert hier “Freedom” de Marotti que vous voulez faire découvrir. Une ambiance deep, un vocal gospel, un moog subtil, la soirée démarre de plein fouet. Vous êtes ravis d’être en la compagnie de vos amis, vous leur faîtes une petite dédicace en enchaînant avec le morceau salvateur et motivant“Pour Mes Gens” produit par TITVS. Ces derniers se lèvent et commencent à danser, vous vous improvisez DJ, un morceau s’impose : “Y’a Que La Verité Qui Compte” de votre pote Brender. Rien à redire, ça swing et votre collègue House Dancer lâche ses meilleurs pas. Il est temps de faire monter la pression : “Puzzle” du producteur et animateur radio Jankev fait le travail ! Vos ami·e·s sont chauds pour aller danser en club.

Coline, y a t’il d’autres moyens de vous venir en aide ?
Il y a plusieurs moyens de nous soutenir dans nos actions :
– En rejoignant, les équipes de bénévoles ;
– En faisant un don financier ;
– En rejoignant notre réseau d’hébergeurs solidaires pour des mineurs non pris en charge par le département.
Pour le reste on est ouverts à tout projet ! On aime diversifier nos activités et tant qu’il y a un porteur de projet (comme l’a fait Théotime) nous on est partant !
La suite, c’est quoi ?
Theo – La suite je ne sais pas. On va déjà voir comment la sortie se déroule. J’avais l’idée d’un label mais on verra bien. Et concernant la démarche solidaire, je garde toujours cette trame en tête aussi.
Coline – La suite est très incertaine au vue des conditions sanitaires, on a moins de projets qu’en temps normal mais on a hâte des beaux jours et de pouvoir reprendre les activités. Pour l’instant, on fait face aux urgences en essayant de trouver des activités qui s’accommodent à la situation. On est tout de même de mieux en mieux organisé·e·s en règles générales et ça nous permet de voir des choses en grand et donc d’imaginer une belle suite (même si l’idéal serait qu’on n’ai plus à agir sur le plan social parce que ça signifiera que le l’Etat ferait enfin son boulot !)
La suite immédiate est également d’enfin rencontrer l’équipe qui a fait cette compil’ avec Théotime !