Mathilda fait partie de ces personnages de la nuit parisienne qui ne passent pas inaperçus. Connue de tous et impressionnante au premier regard, celle qui se définit comme une grande passionnée est avant tout une travailleuse acharnée dont la vie est dévouée à notre scène électronique. De Trax, en passant par Fée Croquer mais aussi Phunk Promotions ou encore Nuits Fauves, elle est désormais l’un des étendards du collectif queer Possession dont les soirées ne sont plus à présenter.
Je ne vous le cacherai pas, dur exercice que d’écrire sur une de ses meilleures amies, mais je tenterai de vous l’introduire de la manière la plus objective qui soit mais au travers de mes yeux : un grand cœur dont la sensibilité et le partage sont les pierres angulaires de la femme qu’elles constituent. Commençons par le commencement…
Une forte culture musicale, tel est souvent le postulat initial de ces amoureux qui décident d’y investir corps et âmes. Il faut dire qu’entre une mère qui réveille notre héros du jour chaque dimanche à coups de Clash, Ramones ou encore Rolling Stones, et un père qui lui passe foison de compil’ Eurodance, l’enfant est servie : « la base, c’était les CDs à fond la caisse. Et puis, mon père était l’un des premiers à avoir le câble ».
Et oui, jeune lecteur, fut un temps où l’internet se nommait Minitel et les chaînes passé le nombre 6 n’existaient point. L’occasion pour elle de découvrir MTV et The Grind. Ce qui pourrait être défini comme l’ancêtre des Boiler Room retransmettait de nombreux sets – tels que ceux d’Erick Morillo par exemple -, le tout accompagné de gens choisis sur le volet pour se pavaner. Pas très underground, vous en conviendrez, mais le déclic se fait : « j’étais fascinée dès le plus jeune âge, les sonorités, les gens »… Les prémisses d’une passion.
Très jeune, notre future organisatrice touche au conservatoire, solfège, chorale et tutti quanti, jusqu’allant à la danse moderne. De l’art sous toutes les coutures, et même diggueuse, elle fait ses armes dans les brocantes où elle y découvre ses premiers trésors, des compils là encore, éditées par Fun Radio ou encore Radio FG. Comme son paternel finalement…
La suite s’enchaîne assez rapidement. La Tektonik fait des ravages sur Paris, et l’adolescente en profite pour découvrir les clubs lesbiens. Des 3W et 3ème Lieu, elle fait partie de cette dernière génération qui découvre le Pulp. « Malgré des parents permissifs, je sautais par la fenêtre pour y aller le jeudi ».
Celle qui pense qu’il faut définitivement tourner la page de la mythique institution – à quoi bon se lamenter – concède qu’il serait tout de même malin d’ouvrir un endroit qui permettrait à cette communauté de se retrouver – et par la même occasion nous confie que son choix professionnel commencera à être conforté à cette période. « Je ne me rendais pas compte que ça forgerait ma carrière musicale ».
Rajoutés à cela une scolarité compliquée, un brin d’insolence, l’envie de voyager… Finalement le voyage se fera dans sa chambre à « écouter du son tout le temps ». Mélange de crise identitaire et d’adolescence, des études de management culturel permettent de la canaliser. Et là tout s’enchaîne.
Au fur et à mesure de mes rencontres avec ces activistes cachés de la nuit, si il y a bien un dénominateur commun, c’est l’apprentissage sur le terrain. Celle qui se définit elle même comme carriériste se forge sa première expérience au travers du festival des 36 heures, dont l’Eglise Sainte Eustache (aux Halles, à Paris) est la terre d’accueil. Elle y monte une programmation, crée une équipe, trouve un ingé son, fait du bouche à oreille. Sont bookés des artistes tels que Yann Wagner ou encore le tout jeune – à l’époque – Leo Pol qui jouent tous bénévolement. Point de sécu, « maintenant tu ne pourrais pas faire ça, ce serait le dawa », et une première nuit blanche 100% électro. Le ton est donné, notre activiste aime organiser, proposer, innover.
Après de vifs passages dans plusieurs établissements, allant du 1979, mi club mi restaurant, en passant chez Phunk Promotion où elle apprend à gérer la carrière de superstars, comme Major Lazer, ou encore chez le média Technikart, elle s’affirme encore plus chez Trax Magazine, avec qui la collaboration se fera presque deux ans : »
J’ai été embauchée sur le pont de Concrète, une semaine après j’étais chez Trax.
Des qualités pour travailler dans l’edito ? « Ne pas espérer trop d’argent, une grosse dose de passion, avoir des connaissances, être curieux, aller vers des choses par lesquelles tu n’étais pas attiré… Et bien sûr une orthographe sans failles ».
Le CV semble se consolider, les expériences se multiplient, nul doute, faire carrière dans la musique électronique nécessite d’accumuler diverses expériences et finalement toucher à toute la chaîne en elle-même : de la communication à la D.A, en passant par l’edito et les partenariats jusqu’à la production. Notre parisienne parvient finalement à réunir tous ces points grâce à la création de Possession.
Union d’Anne Claire aka Dactylo – vous savez, celle qui ambiance Paris et les soirées queer au travers des Flash Cocotte notamment -, Naïla aka Parfait, François et Mathilda : « il était temps d’organiser de grosses soirées LGBT, qui proposaient de la techno avec de vraies têtes d’affiche… où les meufs peuvent se mettre seins nus sans se faire emmerder. Finalement un havre de paix où chacun peut faire ce qu’il veut. Le but des bonnes soirées, c’est la mixité ».
C’est le Gibus qui scelle cette union, les prémisses de ces soirées en warehouse que tout le monde connaît désormais. Avec plus de quatre headliners par soirée, le collectif ose ce qu’aucun parisien n’avait encore fait. Mais pas que… Un véritable travail de développement et de suivi est crée, et des artistes comme 999999999 ou encore Héctor Oaks sont réinvités plusieurs fois, et explosent désormais. « On fait confiance aux bookers également, à l’image de RAW Agency. Si ils me disent qu’un artiste va exploser dans deux ans, on le booke ».
Comme les Fée Croquer, qui furent les premiers à exporter la fête en dehors de Paris, Possession suit le coche. « On peut faire 2000 personne dans Paris, pourquoi on ne pourrait pas en dehors ? ». Après une salle des fêtes, les docks Eiffel ou encore Pullmann, place aux entrepôts, ces endroits bruts mais taillés pour les kicks.
Est-il impossible alors de retourner en club ? Nul n’en est moins certain. « On a une certaine image qui peut nous permettre d’aller dans des lieux importants ». Et c’est chose faite puisque ils envahiront notre barge préférée dès la rentrée. Alors que notre jeune fêtarde dansaient aux Twisted, l’ancêtre des Concrete, c’est enfin à elle de prendre les commandes du flotteur. Après deux Woodfloors à plus de 2.000 personnes par soirées, l’équipe est déjà rodée. Si certains craignent cet enfermement en club, l’organisatrice est ferme : « sans la Concrète, les teufs en warehouse n’existeraient pas. Les gars se donnent pour la nuit parisienne, c’est un des meilleurs soundsystems, et hormis Lea Occhi, aucun des artistes n’y a jamais joué. Finalement, c’est bien Possession qui prend possession de Concrete. On va dans un club et on apporte notre scène. Les toilettes seront non-genrés, l’on pourra enlever son tee-shirt ».
Mais que dire à tous ces jeunes qui souhaitent franchir le cap, produire leurs propres soirées ? La mise en garde est rapide : « beaucoup de gens font ça pour l’argent, la nuit à Paris maintenant, c’est du business ».
Alors que patience est mère des vertus, le mantra s’applique bien évidemment à l’événementiel. Prendre son temps, proposer quelque chose de qualitatif, trouver un lieu adapté, une sécurité cool, des consos un peu moins cher… « Ce n’est pas parce que tu vas faire une soirée que tu vas gagner de l’argent. Il ne faut pas être déçu si tu en perds au début, et ne surtout pas abandonner. Je pense qu’il faut commencer en club, ils t’aideront à faire ta prod, vont t’accompagner. Au bout d’une dizaine d’évènements, une fois que ta clientèle est fidélisée, commence à sortir chercher des lieux. Il faut arrêter de se vanter et faire des caisses. On fait ce qu’on a envie de faire, on se fait plaisir, et si on se fait plaisir, on fait plaisir au public ».
Alors même que Possession, aux côtés de RAW et tout comme Fée Croquer la veille, se faisait fermer un warehouse, la jeune femme n’est pas pessimiste pour autant. « La jeune scène ne s’est jamais aussi bien portée, on a de plus en plus d’artistes ».
Maintenant, c’est Berlin qui doit être comparé à Paris pas le contraire.
Une seule différence pour autant, le public. Plus respectueux chez nos amis teutons, notre possessive – c’est bien un de ses défauts – reconnaît tout de même que ses tappeurs du pied sont des amours, même après cette maudite annulation. « On a eu des gens assez compréhensifs, qui nous ont même offert leurs billets. Très peu de commentaires haineux. On avait des bénévoles, qui ont vu comment on a galéré. Pour les autres, j’ai envie de te dire : « toi t’es déçu parce que t’as pas teuffé 12 heures, nous on est déçu parce que la soirée sur laquelle on travaillait depuis 6 mois ne voyait pas le jour – ou la nuit devrait-on dire ».
Et tous les organisateurs d’événements de cette ampleur nous ont déjà confié la même pensée : il est grand temps de communiquer avec les autorités. Envoyer des mails, tenter la négo, « ça prendra le temps qu’il faut ». Pourquoi pas envisager un espace envisagé à cet effet ? Un lieu à pérenniser ? Entre jardins partagés et studios, redynamisation d’un lieu la semaine, et location en lieu de fête le week-end, l’idée est à développer…
Quoi qu’il en soit, si il y a bien une certitude, c’est que la musique électronique n’est pas en « down ». « Les gens taffent pour des salaires de merde, se font chier, ils attendent de se défouler. La société nous conditionne à faire des choses, à la fin de tes études, t’as pas de taff ou tu gagnes 1200€ par mois… ». La musique comme seul remède ? En tout cas, telle est la solution qui nous est préconisée.
Alors même si la jeune hyperactive rêve secrètement de monter un club, elle a désormais un nouvel objectif : celui de proposer une vraie Boiler parisienne et techno. « Un vrai truc, avec du Illnurse, Lacchesi, ces gens qui ont une énergie de ouf, ce genre de choses ».
Ce qui est certain, c’est que rien n’arrête Mathilda et il faudra compter sur elle pour les prochaines années, voir décennies à venir. Comme une sorte de passage de flambeau entre Anne-Claire et elle ? Seul le temps nous le dira.
Photo en une : Jacob Khrist